Innovation et Connaissance

Ressources métalliques : clés de notre souveraineté. Par Alexandre Marciel.


Jacqueline Sala
Lundi 23 Décembre 2024


Face à l’explosion mondiale de la demande en métaux stratégiques pour répondre à la transition énergétique comme à la révolution numérique, la question de la place de la France est à nouveau posée dans un rapport publié en octobre 2024 par l’Institut Jacques Delors : « La France a-t-elle les moyens de ses ambitions ? ». Et la Raw Materials Week qui s'est tenue la semaine dernière confirme les enjeux de dépendance liés aux ressources métalliques tout en proposant de réelles initiatives.




Des chiffres vertigineux

En effet, on les utilise tous les jours sans en être conscient. Ils sont devenus incontournables dans toutes nos technologies courantes et sont déjà au cœur des technologies bas carbone ou de l’intelligence artificielle. Ils, se sont les métaux stratégiques, on les retrouve au nombre de plus d’une soixantaine rien que dans un téléphone portable.

Mais c’est particulièrement dans le domaine de la transition énergétique, que leur demande explose.
Selon les experts : « On va extraire autant de métaux dans les trente prochaines années que ce que l’humanité a extrait jusqu’à présent ». Et le rapport de l’Institut de Delors de rappeler dans un tableau l’explosion de la demande mondiale à venir (entre 2023 et 2040, pour un certain nombre d’entre eux liés seulement aux énergies propres) :
x 1,5 pour le cuivre, x 1 ,9 pour les terres rares, x 2,1 pour le nickel et même x 8,7 pour le lithium...

Les chiffres sont vertigineux. Les gisements les plus accessibles, avec les minerais contenant les teneurs en métaux les plus élevés ont été les premiers exploités, il va falloir donc creuser plus profond, consommer beaucoup d’énergie… les vendre beaucoup plus chers …
 

Compétition et concurrence

Une telle explosion de la demande va avoir de nombreuses conséquences, difficile de toutes les mesurer. C’est d’autant plus vrai que leur production est concentrée entre les mains seulement de quelques pays aux régimes politiques souvent instables.
Les tensions sur les approvisionnements créent des risques de compétition internationale. Et le rapport de rappeler : « Sans réelle stratégie commune, la compétition pourrait s’exacerber au sein même de l’Union Européenne, des pays comme la France et l’Allemagne poursuivant leur politique chacune de leur côté ».
A ces concurrences entre Etats, vont s’ajouter des conflits d’usage des métaux. « Au même moment, où la demande consacrée à la transition énergétique doit croitre, la transition digitale exige elle-même une consommation exponentielle de minerais critiques », pointe du doigt le rapport.
Il y aurait aussi fort à dire sur les conséquences environnementales (utilisation des énergies fossiles pour produire ces métaux, pollutions des sols, conflits d’usage sur l’eau …)  et les conflits locaux (ex : minérotropisme des différents conflits en Afrique)…
 

100 % dépendants

Depuis des années, les rapports sur ces enjeux clés s’enchaînent et malheureusement enfoncent toujours plus profondément le couteau dans la plaie déjà très douloureuse de notre perte de souveraineté française.

Il est à nouveau question du « risque d’accroitre notre dépendance étrangère », de « position française vulnérable » et de « devoir adopter des mesures de sobriété pour limiter celle-ci ». Le Rapport Varin produit en 2022 à la demande du Président de la République avait déjà conclu à ce constat sans appel : « La France dépend à 100 % d’approvisionnement extérieur pour ses métaux », vous avez bien lu « 100 % » ! Depuis, différents outils ont été créés pour essayer de reprendre en main notre destin économique, le rapport de l’Institut Delors les détaille : comme la création au niveau français de l’Observatoire Français des Ressources Minérales pour les Filières Industrielles OFREMI (novembre 2022) ou l’adoption au niveau européen du Critical Raw Materials Act (mars 2024) avec des objectifs chiffrés (en terme d’extraction, raffinage, recyclage, diplomatie, innovation…) mais aussi la création de divers fonds d’investissement dédiés aux métaux critiques.
 

Des rapports aux actions

La Raw Materials Week - La semaine des Matières Premières - s’est déroulée du 9 au 12 décembre dernier à Bruxelles. L’occasion de mettre en avant de nombreuses initiatives et d’en susciter de nouvelles. Il s’agit du plus grand événement politique et économique organisée sur les métaux critiques par la Commission Européenne.

Cette 9ème édition a permis de développer notre diplomatie minérale européenne avec la participation de nombreuses délégations étrangères : Canada, Groenland, Australie, Brésil, Kazakhstan, Ouzbékistan, Norvège, Zambie, République Démocratique du Congo, Afrique du Sud.

Par ailleurs, consciente que la reconquête de notre souveraineté passe nécessairement par l’acceptabilité sociale (notamment autour des futurs projets industriels et miniers), la Commission Européenne a annoncé le lancement de l’« European Raw Materials Academy  », confirmant l’urgence de renforcer le débat démocratique (leviers de recommandation du rapport de l’Institut Delors) mais aussi de mieux former pour combler les déficits de compétences identifiés dans la chaîne de valeurs des productions.
 

A propos d'Alexandre Marciel

Auteur de cet article et invité de la Commission Européenne dans le cadre de la Raw Materials Week, l’expert Toulousain  en métaux stratégiques et matériaux innovants, Alexandre Marciel (dit le Chasseur d’Atomes) à travers son exposition « De l’objet aux minerais » a pu préfigurer cette Académie européenne des matières premières (il a constitué en dix ans la première matériauthèque au monde) et a présenté ce qui pourrait constituer une innovation dans la fusion nucléaire avec la transmutation de métaux (à lire dans un prochain numéro).